Entretien avec Daphné Asse, chargée du programme Phénoclim
Daphné Asse est doctorante au Centre de Recherches sur les Ecosystèmes d'Altitude (CREA). Elle étudie les variations du cycle annuel de développement de cinq essences forestières (mélèze, bouleau, épicéa, noisetier, frêne) au cours des dix dernières années, à travers les Alpes, grâce à l'exploitation de la base de données Phénoclim du CREA, et ce, afin de répondre à différentes questions de recherche fondamentale.
ODS - D'où vient votre intérêt pour l'étude de la phénologie en milieux d'altitude ?
Daphné Asse - Très jeune, j’ai découvert une vraie passion pour le milieu forestier. C'est un milieu complexe, qui regroupe différents types d’acteurs avec différents enjeux : la production forestière, la gestion cynégétique (gestion de la faune sauvage, en grande partie liée au monde de la chasse), l’accueil du public en forêt et les aspects de protection des forêts.
L’écologie forestière m’a tout de suite intéressée, l’envie de comprendre comment fonctionnent les arbres au niveau physiologique, et à une échelle plus large, le fonctionnement des écosystèmes forestiers. J’ai ainsi poursuivi mon parcours avec un master de recherche en écologie. J’ai orienté mes stages et mes connaissances dans la compréhension des impacts des changements climatiques sur les écosystèmes forestiers. En parallèle de mes études, j’ai cultivé une autre passion qui est celle de la montagne. J’ai travaillé en tant qu’aide gardien dans un refuge l’été, et pratiquais de plus en plus des activités sportives liées à la montagne.
Allier mes deux passions : la forêt et la montagne, est devenue une évidence. Mon envie de comprendre quels sont aujourd’hui les impacts des changements climatiques sur les forêts de montagne m’a orienté vers le domaine de la phénologie : un indicateur direct de la réaction des arbres aux variations des températures.
Quelles sont les espèces végétales observées dont les cycles de vie ont été le plus modifié au cours des dernières années et quels sont les impact potentiels de ces changements dans la phénologie des plantes ?
Les régions alpines sont particulièrement sensibles aux changements climatiques en cours.
De plus, de nombreuses preuves indiquent que le taux du réchauffement est amplifié avec l'altitude, ce qui suggère que les écosystèmes de haute altitude pourraient subir des changements plus rapides de température que ceux à plus faible altitude. Dans mon travail de thèse, je cherche à répondre notamment à cette question.
Il semblerait également que les espèces tel que le noisetier, dont les phases phénologiques ont lieu tôt dans l’année pourraient être plus impactées par l’augmentation des températures qu’une espèce dite tardive comme l’épicéa (dont le débourrement a lieu vers le mois de mai).
Dans le cycle annuel des arbres, durant l’hiver, l’arbre va avoir besoin d’accumuler une certaine quantité de « froid », puis ensuite une quantité de « chaud » pour démarrer son débourrement. Ce processus est encore mal compris et de nombreuses études sont en cours afin de mieux comprendre ces mécanismes de fonctionnement. Un des risques en lien avec l’augmentation des températures, serait qu’un hiver trop doux ne permettrait pas à l’arbre d’avoir accumulé assez de froid pour « comprendre » que le printemps est là, son débourrement pourrait ne pas avoir lieu.
Les rythmes saisonniers des espèces deviennent de plus en plus précoces, impactant la répartition des espèces animales et végétales qui commence à être modifiée : la limite forestière est remontée de 300 mètres au cours du 20ème siècle (29 mètres par décennie en moyenne). Dans les Pyrénées espagnoles, des études ont montré que certaines espèces de papillons sont remontées de 200m d’altitude au siècle dernier.
Cette liste n’est pas exhaustive. De plus, chaque espèce réagit de façon différente aux augmentation des températures : les plantes et les amphibiens sont par exemple très sensibles aux variations de la température, alors que les oiseaux sont plus sensibles à la durée du jour. Ces différences peuvent créer des désynchronisations entre les espèces.
Pourquoi avoir développé un observatoire spécifique aux milieux d'altitude ?
La phénologie est une science ancienne. Les bancs de vendange, où sont inscrits les dates de récolte en sont l’illustration. Les hommes depuis très longtemps notent les dates de ces événements saisonniers. Cependant au siècle dernier, ces observations ont été peu à peu délaissées par les scientifiques notamment en montagne.
Or l’Ouest des Alpes s’est réchauffé deux fois plus vite que l’hémisphère Nord au cours du 20ième siècle (+1,5 à +2°C). Ces augmentations de température se poursuivront dans les Alpes pour le 21ème siècle, et seront peut-être encore plus importantes et plus rapides qu’au cours du 20ème siècle, avec des contrastes plus marqués entre les saisons. L’évaluation de la sensibilité des espèces végétales et de la capacité d’adaptation des écosystèmes de montagne face à ces changements est donc primordiale.
Dans ce contexte, les écosystèmes de montagne offrent la possibilité de comprendre les réactions des végétaux, voire d’anticiper les changements à venir, en substituant la dimension temporelle par la dimension spatiale des gradients thermiques altitudinaux. Autrement dit, le long du gradient d’altitude ; plus on monte en altitude et plus la température diminue, on peut ainsi comprendre les réactions d'une même espèce soumise à des températures différentes.
En quoi la participation citoyenne constitue un apport privilégié pour votre thèse ?
La récolte de données phénologiques est coûteuse car elle se fait par une évaluation visuelle sur plusieurs individus par population et plusieurs populations par espèce, et nécessite une fréquence de suivi élevée tout au long des saisons. La plupart des études ayant pour objet la phénologie le long de gradients altitudinaux ont donc dû se limiter à quelques sites sur une durée courte.
Phénoclim est une initiative qui permet d'accumuler un grand nombre de données climatiques en parallèle avec les observations phénologiques dans les Alpes. Ainsi, le CREA a pu acquérir de longues séries temporelles sur une très large région, ce qui n’aurait pas pu être réalisé par un programme de recherche mené uniquement par des équipes scientifiques, et c’est un des atouts principaux des programmes de science participative.
Le second apport privilégié de ces données dans ma thèse, est de valoriser les données d'un programme de science participative afin de mettre en évidence que ces initiatives, si elles sont bien menées, peuvent permettre de contribuer à des travaux de recherche de qualité originaux et reconnus par la communauté scientifique internationale.
Selon vous, est-ce que les observatoires participatifs (tels que l'ODS et Phénoclim) peuvent aider à faire évoluer positivement les pratiques des citoyens, voire les consciences ?
L’intérêt d’un programmes de science participative tel que Phénoclim ou l’ODS est en premier lieu de réapprendre aux citoyens d’observer leur environnement. La curiosité et l’envie de comprendre le fonctionnement de ces mécanismes saisonniers vient très rapidement. L’émerveillement, la curiosité, l’acquisition de connaissances sur ce que l’on observe, débouche naturellement vers des intérêts plus larges comme les enjeux des changements climatiques. Une prise de conscience sur ces questions et des évolutions de pratique au quotidien peuvent en effet être enclenchés par un programme de science participative.
Comment percevez-vous l'importance que peuvent avoir ces projets dans le cadre de l'enseignement ?
Il est très facile d’intéresser les enfants à ce qui les entoure : généralement très curieux, ils prennent très vite conscience des enjeux liés aux changements climatiques. Développer ses facultés d’observation n’est pas si simple, cela s’apprend. Intéresser, sensibiliser les enfants à l’observation naturaliste, sur les questions des changements climatiques, ou la découverte de monde de la recherche, est d'un grand intérêt dans un programme de science participative. C’est un public clé car ce sont les citoyens de demain.
A travers ces programmes, l’enseignant peut également utiliser l’ODS ou Phénoclim comme fil conducteur et travailler d’autres notions très diverses autour.
Quels sont vos perspectives pour 2016 ?
Je prévois la publication de mon premier article scientifique. Il présentera les résultats de la première partie de ma thèse que j’ai réalisé sous la direction de Christophe Randin, chercheur à l’Université de Lausanne. Cette partie aborde des questions descriptives à partir des données de Phénoclim. Par exemple, est-ce qu’un individu d’une espèce à haute altitude aura une phénologie similaire à celle d’un individu de basse altitude ? Réagissent-ils de la même façon aux mêmes variations de température?
Je vais ensuite démarrer le second chapitre de ma thèse sous la direction d’Isabelle Chuine au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE-CNRS) à Montpellier. Ce travaille abordera sous un aspect détaillé les mécanismes de fonctionnement de la phénologie des arbres.
Enfin, Marie Pachoud, dans le cadre d’un service civique, me relaie pour l’animation du programme afin que je puisse avoir plus de temps pour travailler mon doctorat.
Nous continuons de développer le programme sur l’ensemble des massifs montagneux de France, notamment dans les Pyrénées. L’extension du programme en Suisse est également en cours.
L'ODS et Phénoclim travaillent en partenariat et partagent leurs données et résultats – le premier focalise ses observations sur les zones de plaine, le second sur les zones de montagne.
Anne Delestrade, directrice de recherche au CREA, à Chamonix, est la responsable scientifique de Phénoclim, projet créé en 2004. Quant à l’ODS, il a été créé en 2006 et lancé en 2008 à l'initiative d'Isabelle Chuine, chercheuse au laboratoire d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive du CNRS, à Montpellier.
Site web : http://phenoclim.org