Portrait de l'ODS : Jacques Périgaud
Jacques Perigaud est ingénieur de recherche. Son terrain d’investigation est le jardin des plantes du Museum d’Histoire Naturelle (MNHN) de Paris où il étudie les modifications des dates de floraisons afin de comprendre les influences des aléas climatiques.
Comment en vient-on à travailler sur la phénologie ?
Ça doit remonter à l’année 1960. Alors élève du lycée agricole et horticole de Montreuil, je regrettais déjà la pauvreté des données mises à notre disposition pour concevoir les jardins. Il faut dire que la période de sortie de guerre se faisait encore sentir. Tout au jardin était calculé avec cette simplicité qui aboutit au jardin à la Tati1. D’une certaine manière je vivais cela comme un échec, parce que j’aurais voulu concevoir un jardin aussi riche que cette nature dans laquelle je m’étais ouvert au monde dans ma petite enfance. Pour moi, le jardin réussi est celui où l’on ne devine pas la présence du jardinier. Tout doit y paraître naturel. Tout doit y être une surprise. Le jardin doit offrir une abondance de verdures, de formes, de couleurs, de senteurs. C’est dire si nos parcs et jardins urbains m’apparaissent comme des horreurs poussiéreuses, alors que nous disposons de plusieurs milliers de plantes pour en diversifier les contenus, les perspectives, les ambiances. Ceci existe, bien évidemment, mais ces jardins sont encore trop rares. Ce sentiment de pauvreté en matière d’outils floristiques m’habite toujours. Je suis sorti de l’école en étant convaincu d’être dans l’incapacité de créer le jardin tel que je le concevais, et ceci faute de connaissances répondant à une question : « comment fleurir un jardin toute l’année ? »
Après avoir quitté l’horticulture faute d’y trouver une place intéressante, j’eus l’opportunité de revenir, pour les quelques années qu’il me restait, vers ce que j’avais quitté et qui m’habitait encore. En décembre 1999, j’arrivais au service des cultures du jardin des plantes du MNHN où j’ai entrepris de réaliser un calendrier des floraisons à partir des collections végétales délaissées de toute observation régulière.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la phénologie ?
Ma curiosité pour la phénologie ne date pas d’aujourd’hui. J’avais remarqué qu’en juin la naissance des jeunes pinsons coïncidait à une abondance de chématobie qui est une petite chenille verte. Cette relation concernant la chaîne alimentaire n’est pas anodine puisqu’un dérèglement de l’enchaînement temporel de ces évènements -jeunes feuilles, chenilles, oisillons- peut entraîner à court terme la famine et même la disparition de l’oiseau en un lieu donné. L’évolution du climat a récemment bouleversé le calendrier de ces enchaînements provoquant la disparition de plusieurs espèces d’oiseaux incapables d’ajuster leur reproduction aux nouvelles contraintes.
L’observation phénologique peut donc recouvrir plusieurs types d’interrogations. On peut ainsi s’intéresser à l’apparition des stades d’une seule espèce comme se pencher sur les relations phénologiques entre plusieurs espèces et évènements climatiques, astronomiques. Les cycles des espèces, les stades comme le débourrement ou la floraison d’une plante, l’éclosion des oisillons ou encore la reproduction des limules, sont en fait des évènements liés dans le temps à d’autres évènements naturels liés de près ou de loin aux aléas climatiques ou à la course du soleil.
C’est ainsi que je débutais les observations des collections sur les cinq hectares du jardin des plantes à la rencontre de plusieurs milliers de plantes. Le site Phénoflore a permis de mettre en temps réel les floraisons de la semaine à la disposition du public.
Avez-vous observé des changements depuis que vous enregistrez la phénologie ?
L’enregistrement des données est une chose, mais vient en effet un moment où il faut commencer à fouiller les données d’observation.
La première idée fut de rassembler en un ensemble toutes les floraisons ayant lieu au même moment quelle que soit l’année considérée. C’est ce que j’appelle une « cohorte ». Cette notion de floraisons simultanées est utile, surtout si vous désirez fleurir avec des plantes vivaces tout un massif à un moment précis. Vous comprenez combien l’étude de la phénologie peut être utile au paysagiste ou, comme nous le verrons plus loin, au jardinier, au biologiste s’intéressant à la biodiversité et même à l’allergologie.
À l’analyse synchronique du fleurissement, l’analyse diachronique vient d’une autre manière compléter l’observation des données. Cette fois-ci, on ne cherche plus à regrouper les floraisons selon le moment de leur expression, mais selon leur tendance à fleurir de manière hâtive ou tardive la même année. C’est la notion de « suite ». Autrement dit, si j’observe deux plantes dont l’une fleurit au mois de mars et l’autre six mois plus tard, le fait que toutes deux fleurissent en avance ou en retard indique que le réglage des floraisons n’a rien à voir avec les aléas climatiques de l’année en cours, mais qu’il a lieu au cours de l’année précédente. C’est ce que j’appelle, par un abus de langage bien commode, « le réglage de l’horloge de floraison ». Cette découverte, m’a permis de prédire avec précision des dates de floraison indépendamment des aléas climatiques à venir.
Mais n’allons surtout par croire qu’il en va ainsi pour toutes les plantes. Certaines plantes fleurissent à date fixe quelque soit l’année, que les aléas climatiques aient tendance à l’humidité ou à la canicule. J’en compte ainsi plus d’une centaine sur Paris. Et puis, il existe celles qui fleurissent en permanence. J’en connais une sous le climat parisien : le faux Millet : Piptatherum miliaceum Coss. Bien que la floraison semble relancée vers la 12° semaine, elle ne cesse pour ainsi dire jamais d’exister. Tout ceci pour vous faire toucher la diversité biologique, la richesse des processus d’adaptation, la complexité des ajustements aux aléas climatiques, sans parler des accommodations à mi-chemin entre adaptation et ajustement.
Le Melianthus et l’Euryops
Le Melianthus major, originaire d‘Afrique du sud, qui à Paris développe sa feuillaison en plein hiver pour fleurir finalement à la mi-mai. C’est l’exemple même de la plante qui « pousse à l’envers du calendrier ». Il en existe une autre, pour ainsi dire dans le même cas, c’est l’Euryops pectinatus, lui aussi originaire d’Afrique du Sud. En simplifiant, je dirais que l’Euryops ne s’arrête jamais : six mois en floraison, six mois en feuillaison. La floraison débute juste avec l’automne (38ème semaine à 7 jours près) pour se terminer juste avec l’arrivée de l’été. On constate bien que la longueur du jour joue un rôle essentiel dans le cycle de cette plante. D’ailleurs, la taille des fleurs suit de manière inverse la longueur du jour. Plus le jour est court, plus la fleur est large, si bien qu’à Noël l’Euryops illumine à lui seul le jardin d’une boule d’or perceptible de loin. On ne voit plus que lui parmi les plantes en repos.
La phénologie apporte des connaissances applicables immédiatement au jardinage. Si l’on ajoute les informations relatives aux « assemblages » utilisables par les paysagistes, sur les « cohortes » fortes utiles dans le cas de la recherche de plantes indicatrices, sur les « suites » utilisables en allergologies, la phénologie, si longtemps oubliée en France, est un nouveau champ de recherche plein de perspectives nouvelles.